Comment parler de cette chanson ? Et oui ce n'est que la deuxième chronique de Ten Minutes Song mais me voilà déjà dans une situation compliquée : expliquer le génie du morceau « Alertez les bébés » sur l'album du même nom par Jacques Higelin en 1976. Un homme + un piano = chef d’œuvre
Nous avons à faire à l'un des meilleurs albums de rock français, tout époques confondues. Certifié disque d'or en France avec plus de 100'000 ventes, « Alertez les bébés » est le sommet de carrière de Jacques Higelin depuis qu'il s'est mis au rock en 1974 avec BBH 75. Son succès perdureras jusqu'au live au Mogador en 1980.
Une galette équilibrée entre rock et funk (« Le minimum », « Géant Jones »), country (« Je veux cette fille »), folk (« La rousse au chocolat », « Je suis qu'un grain de poussière ») de la variété française d'une grande qualité (« Aujourd'hui la crise », « Coup de blues ») et enfin cet OMNI (Objet Musical Non Identifié) qu'est « Alertez les bébés ».
Placée en fin d'album, avant une conclusion assez comique, cette chanson vous achève d'un album déjà très riche.
Rien que le titre est improbable, une inspiration qui n'arrive qu'une fois et qui ouvre la porte à des centaines d'interprétations. Higelin a écrit les paroles dans la précipitation, dans un état qu'on pourra qualifier de... fébrile, et ça sent ! Non pas que cela soit mal écrit, au contraire, ses paroles ont été couchées sur le papier dans un état de demi sommeil où la logique n'a plus sa place, seulement la création.
L'enregistrement fût particulier et c'est ce qui en fait encore sa force aujourd'hui : une seule prise avec Higelin en solo et un piano. Des micros sont entreposés partout autour de l'instrument ce qui donne cet effet de reverbe si particulier et lors d'une écoute au casque vous remarquerez qu'on entend le pied du chanteur qui tape le rythme.
C'est une véritable performance live à laquelle nous assistons. A peine retouchée en post-production : on peut remarquer qu'Higelin s'éloigne du micro vers la fin. Parce que notre rocker français donne tout ce qu'il a : il chante, hurle, fredonne, éructe son texte avec cette voix caractéristique, rauque, grave, parfois fausse mais remplie tellement d'émotions qu'on ne peut pas y être indifférent. Il joue avec les paroles en faisant semblant de pleurer : 'Alors il se précipite en pleurant ouin ouin ouin'
Il prouve ici, s'il le fallait encore, qu'il est un très bon pianiste. Il s'amuse avec le rythme, en le ralentissant ou l'accélérant, frappe les touches comme si sa vie en dépendait. Bref, il se ballade sur le clavier avec une facilité déconcertante.
Si le texte semble instinctif, viscéral, il n'en demeure pas moins dépourvu de sens car c'est une protestation anti-guerre, très imagée. On retrouve un vocabulaire de la guerre : guerre, colonel, torture, prison, matraques, massacres etc.
Énormément de métaphores et de personnifications mettent en scène l'amour contre la guerre sans passer pour une chanson naïve. Un extrait ?
J'ai vu un jour
cent mille enfants
serrer dans leur poing
l'étendard de l'amour révolté […]
et leur voix faisait trembler les murs de Babylone
Comment veux-tu que l'espoir capitule ?
Ce morceau est une pierre brute, un cri de rage poussé par le génie de Jacques Higelin d'une traite, sans réfléchir. Une chanson où les mots d'un simple article de blog ne peuvent pas décrire toutes ses émotions. Alors ne restez pas là, écoutez « Alertez les bébés » et vivez ce morceau.
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