C’est l’un des premiers arguments lorsque je propose à une personne ne l’accompagner au piano afin qu’elle prenne plaisir à chanter une chanson qu’elle aime bien et que la réponse est non. « Je ne sais pas chanter, je ne suis pas musicien ». La question que je me pose alors « est-ce que c’est vrai ? », cette personne ne sait-elle vraiment pas chanter, n’est-elle vraiment pas musicienne ?
Pour essayer de comprendre pourquoi cette personne pense qu’elle n’est pas musicienne et par extension ne sait pas chanter, ou chante faux, il faut prendre le problème par le début, au tout, tout, début de notre vie. Nous ferons cette analyse grâce aux neurosciences et aux sciences cognitives en se posant la question sur le mode « être musicien, est-ce un acquis ou de l’inné ? »
La réponse est simple : les deux.
La musique, pour faire simple, c’est placer de la mélodie, l’harmonie, sur un tempo, le rythme. Nous placerons ces deux notions sur le même plan. La question se scinde donc en deux :
- Le rythme est-il acquis ou inné ?
- L’harmonie est-elle acquise ou innée ?
Le rythme
Le rythme peut être défini comme suit : élément temporel de la musique, dû à la succession et la relation entre les valeurs de durée. C’est un ressenti, une impression, qui font intervenir toutes les parties du corps et qui se calent sur notre horloge interne. Cette horloge qui rythme nos battements de cœur, notre respiration, le cycle du sommeil etc. Ainsi nous somme capables de taper dans nos mains de manière très régulière sans se tromper et sur un long moment.
Cette notion de rythmique est un vaste champ de recherche qui interroge depuis longuement. Par exemple dans « cours de philosophie générale ou explication simple et graduelle de tous les faits. De l’ordre physique, de l’ordre physiologique, de l’ordre intellectuelle, moral et politique » (rien que ça). H. Azaïs nous explique dans son cinquième tome « dans le concert organique du corps humain, toutes les vibrations particulière des divers organes viennent se confondre avec précision dans le battement de l’organe le plus fort et le plus étendu […] le cœur est réellement le chef d’orchestre » Source : books.google.fr
Plus proche de nous, Henkjan Honing, chercheur en science cognitive dans le domaine de la musique, édit depuis longtemps les perceptions rythmiques, le timing, le tempo, et tous les mécanismes sous-jacents à la musicalité. Il a notamment étudié chez les enfants et les adultes, la capacité à prévoir et anticiper les changements de rythmes.
Dans le cas précis de nourrissons, ses analyses issues de l’imagerie musicale montrent que le cerveau des bébés émet un signal de correction lorsque ils entendent des sons qui ne sont pas ceux qu’ils attendaient. Selon les études de H. Honing, les bébés, et les adultes, sont donc capables de prévoir les changements de rythme, reconnaître la régularité d’un rythme même s’il change. Cette faculté semble donc innée, avant donc d’être acquise et avant même de prononcer ses premiers mots. Ainsi tous les nouveau-nés possèdent cette capacité, ou aptitude pour la musique.
Si le sujet vous intéresse vous retrouverez dans l’article « Rhytm and its perception in the central nervous system » de Bettina Ried, des explications précises du fonctionnement de cette aptitude.
Alors pourquoi certaines personnes tendent à dire qu’elles ne sont pas musiciennes si c’est un inné ? Il faut donc chercher du côté de l’apprentissage.
Patricia Kuhl, spécialiste du langage, explique que « Le cerveau du bébé apprend à reconnaître les modèles et anticipe sur ce qui va suivre. L’identification des modèles est une compétence cognitive importante, et le fait de la développer, peut avoir une influence durable sur l’apprentissage ». Autrement dit, le cerveau traite de manière similaire la musique et le langage. Le langage repose sur des structures rythmiques, comme la musique. Le cerveau des bébés en acquisition du langage utilise des modèles rythmiques pour différencier les sons et de facto, comprendre le langage. C’est aptitude à la musique est bien un inné fondamental, il va nous service à acquérir le langage. Parler c’est communiquer, et plus que ça : faire de la musique c’est parler.
Il est d’ailleurs démontré que la pratique musicale chez les enfants dyslexique améliore son apprentissage. Plus largement l’Académie américaine des sciences a prouvé dans une étude d’analyse de neuroimagerie les effets bénéfiques de la musique sur l’apprentissage de la parole chez les bébés. Cette étude prouve que l’écoute de la musique influence le développement des capacités d’apprentissage de la parole chez les bébés.
C’est la validation scientifique de la méthode des comptines. Cette méthode ancestrale avait autrefois une place de choix dans l’éducation des tous petits. Elle permettait une transmission plus aisée des corpus culturel et musical d’une société. Une comptine mobilise l’ensemble du corps et permet à l’enfant de solliciter plusieurs sphères de son développement. En joignant la gestuelle à l’expression de concepts ou d’idées, la comptine permet un meilleur développement du cerveau et donc de l’apprentissage.
Musicien à la naissance
Comme on vient de le voir tous les éléments fondamentaux pour que nous fassions de la musique sont présents dès notre naissance. C’est grâce à cela que nous avons pu développer le langage. Mais alors pourquoi certain disent qu’ils ne sont pas musiciens ?
Une étude de Josh McDermott, Professeur Associé au Département des sciences cognitives et du cerveau au MIT, a produit le résultat d’une longue recherche « Indifference to dissonance in native Amazionians reveals cultural variation in music perception », publiée dans Nature en Juillet 2016, va montrer que les caractéristiques de la musique occidentale basées sur la consonance, vécue comme agréable, et la dissonance, ressentie comme désagréable, ne sont pas innées.
Cette étude démontre avec clarté que nos goûts musicaux ne sont pas innés, mais acquis. C’est l’environnement dans lequel nous sommes nés qui va façonner nos goûts musicaux. Metal hardcore, rap, musique classique, zheul, indie… nous avons des préférences, des propensions pour des types de musiques. Ce la vient de notre histoire, des notre culture, de notre sociologie etc. les scientifiques montrent que la culture l’emporte sur ce sujet. Le facteur biologique ne l’emporte pas.
Comme le dit Dala Purves, neurobiologiste à l’Université Duke à Durham « le débat inné contre acquis est toujours perdu d’avance. C’est presque toujours une combinaison des deux ». C’est cela qui est questionné dans ce dossier musique et sciences cognitives.
Et pour ne rien arranger, si nos goûts musicaux sont façonnés par notre environnement, être un génie de la musique ça par contre c’est la génétique qui semble le piloter Même si Mozart disait que le génie c’est « 90% de travail, 10% de don », ce sont bien ces 10% de dons issus d’un gain à la loterie de la génétique qui font basculer dans le génie. Nous sommes, par notre patrimoine génétique et notre environnement, tous différents face à la musique. La quantité de travail, les fameuses 10'000 heures, n’y change rien.
Alors, finalement, nous sommes tous des musiciens ?
Oui, nous le sommes tous. C’est démontré, nous sommes tous musiciens, a des degrés divers c’est tout. C’est dans cette graduation que réside en fait le « je ne sais pas chanter » ou « je ne suis pas musicien ». C’est l’acquis qui est donc à questionner, et plus largement notre société.
Reprenons l’exemple de la comptine. Elle n’est plus au centre du processus éducatif des tous petits, c’est un fait nous chantons de moins en moins. Si la musique, langage universel qui est en nous avant de savoir parler, était transmise aussi naturellement que le langage parlé, nous l’assimilerions dès la plus petite enfance, avec facilité et rapidité. Et même si l’harmonie est vacillante, même si le rythme est imprécis au début, l’acquisition de l’apprentissage nous permettrai d’être de plus en plus précis et assurés. Peu à peu la rythmique deviendra plus précise et l’harmonie à la bonne place, les éléments se placeraient de plus en plus efficacement et le langage deviendra plus fluide et aisé.
Nous sommes tous musiciens dans notre for intérieur nous sommes nés avec, certains l’ont simplement oublié. (ré)apprendre à chanter, battre la mesure ou jouer d’un instrument peut se faire à tout moment de notre vie. On peut tous apprendre à tout âge à faire de la musique, et on devrait tous le faire. Et bien entendu que les niveaux atteints et les vitesses d’apprentissage seront très différents en fonction des individus.
Alors qu’importe que l’on soit un génie ou pas, qu’importe que nous prenions plus de temps qu’un autre pour y arriver, ce qui compte ce n’est pas cela. L’important ce n’est pas la science, ce ne sont pas les images IRM, les analyses. Finalement on s’en fout…
C’est Indiana Wollman, chercheuse postdoctorale en neuroscience à l’Université McGill, scientifique de son état qui mets le doigt sur le plus important : « L'émotion que le musicien arrive à transmettre à un auditeur, c'est au cœur de ce que c'est que d’être musicien. »
Qu’importe. Le plus important, c’est d’y trouver du plaisir pour soi-même…
Et pour les autres.